Le pergélisol arctique est un réservoir de gènes de résistance à certains antibiotiques

Le changement climatique global est particulièrement sensible en Arctique qui se réchauffe deux fois plus vite que les régions tempérées, entrainant la fonte du pergélisol, le sol gelé en permanence qui constitue 90 % de la Sibérie.

Cette fonte réactive les populations microbiennes qui pourraient contribuer à l’émission de gaz à effet de serre et à une possible résurgence périodique de zoonoses.

Dans ces travaux, publiés le 5 mai 2022 dans la revue microLife, une équipe internationale, menée au niveau français par des chercheurs et chercheuses du laboratoire Information génomique et structurale (CNRS/Aix-Marseille Université), montre qu’elles constituent également un énorme réservoir de gènes de résistance aux antibiotiques, particulièrement les béta-lactamases.

En 2014 puis 2015, le laboratoire Information génomique et structurale avait isolé et réactivé deux virus resté infectieux après 30 000 ans de congélation dans le pergélisol sibérien. Cette première découverte avait connu un grand retentissement médiatique, en ajoutant la libération éventuelle de virus « zombies » datant de l’époque de Neandertal à la liste déjà longue des conséquences désastreuses associées à la fonte du pergélisol : émissions de gaz à effet de serre (CO2, méthane), destruction des infrastructures et habitations, érosion des côtes, et résurgence d’épidémie du passé (anthrax).

Afin d’estimer d’une manière exhaustive les dangers infectieux éventuellement associés au réchauffement du pergélisol sibérien, le laboratoire s’est entouré d’une équipe internationale (North Eastern Federal University en Russie, et Alfred Wegener Institute en Allemagne) pour effectuer une analyse métagénomique de divers échantillons de sols prélevés dans la région de Iakoutsk et au Kamchatka. La métagénomique, consiste en l’extraction de l’ADN total des sols, suivi d’un séquençage massif réalisé au Genoscope d’Evry et de sa caractérisation détaillée à l’aide de méthodes bioinformatiques. La détection de microorganismes inconnus éventuellement pathogènes est donc effectuée en toute sécurité, sans qu’ils ne soient jamais mis en culture.

Dans ce travail, l’analyse d’une quantité massive (près de 1000 milliards de nucléotides) de données génétiques a d’abord révélé que les communautés microbiennes étaient très variables d’un échantillon à l’autre, indépendamment de leur distance temporelle ou géographique. Mais une analyse plus fine, a ensuite révélé une propriété inattendue partagée par ces communautés microbiennes : elles sont composées de bactéries certes différentes, mais dont la plupart sont porteuses d’un enzyme causant l’inactivation des antibiotiques dérivés de la pénicilline, appelé β-lactamase. L’émergence constante de nouvelles versions de β-lactamases à spectre étendu à partir de l’environnement constitue un problème majeur de santé publique, en étant à l’origine de bactéries multirésistantes dont les infections causent plus d’un million de morts par an. La proportion importante de bactéries porteuses de béta-lactamases dans des sols vierges de tout contact avec l’activité humaine est totalement inattendue et pour l’instant inexpliquée.

En plus des virus préhistoriques qu’il recèle, le pergélisol semble donc constituer un énorme réservoir de gènes de résistance aux antibiotiques susceptibles d’être remis en service au sein de bactéries contemporaines au moment de sa décongélation.
Avec ce travail, la fonte inexorable du pergélisol sibérien pourrait conduire à deux risques pour nos sociétés : le réchauffement climatique et le retour de maladies infectieuses échappant à notre arsenal thérapeutique. Une analyse focalisée sur les virus, formant une faible proportion des microorganismes détectés, est en cours dans le laboratoire.

© Guido Grosse, Alfred Wegener Institute

 

Bibliographie

Metagenomic survey of the microbiome of ancient Siberian permafrost and modern Kamchatkan cryosols
Sofia Rigou, Eugène Christo-Foroux, Sébastien Santini, Artemiy Goncharov, Jens Strauss, Guido Grosse, Alexander N Fedorov, Karine Labadie, Chantal Abergel, Jean-Michel Claverie
microLife (2022) - https://doi.org/10.1093/femsml/uqac003

Contact

Jean-Michel Claverie
Enseignant-chercheur AMU
Anouk Rizzo
Directrice adjointe de la communication Aix-Marseille Université
CNRS - Bureau de Presse
 

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